Sur TiKTok, Instagram, Youtube… masculinisme rime avec climatoscepticisme

par Pauline Ferrari

Au-delà de leurs postures misogynes, de nombreux influenceurs masculinistes propagent aussi des idées fausses sur le réchauffement climatique. Parce qu’ils aiment trop les voitures, la viande… et la domination. Décryptage.

Le 27 décembre 2023, Andrew Tate, ex-champion de kickboxing et roi autoproclamé des masculinistes, poste un tweet s’adressant directement à la militante écologiste Greta Thunberg : après s’être vanté de posséder 33 voitures de sport aux moteurs polluants, il ajoute « Merci de me communiquer ton adresse mail pour que je puisse envoyer la liste complète de ma collection de voitures et les énormes émissions de chacune d’entre elles ».

La réponse de Greta Thunberg fait le tour d’Internet : « Oui, merci de m’éclairer. Envoie-moi un mail à énergiedepetitebite@trouvetoiunevie.com » (« Yes, please do enlighten me. Email me at smalldickenergy@getalife.com »). L’échange cinglant est à l’image d’une forme de climatoscepticisme et militantisme anti-écologique répandu chez ceux qu’on appelle les masculinistes, ces défenseurs de la position de domination des hommes sur les femmes et les minorités de genre.

Capture d'écran de Twitter/X sur laquelle Greta Thunberg répond à Andrew Tate sur X/Twitter : yes, please do enlighten me. email me at smalldickenergy@getalife.com. Le tweet d'Andrew Tate le montre en photo devant une voiture de sport rouge. Il est écrit : I have 33 cars. My Bugatti has a w16 8.0L quad turbo.
Greta Thunberg répond à Andrew Tate sur X/Twitter.

La désinformation liée au réchauffement climatique n’a jamais été aussi répandue : une étude de 2023 du CNRS montrait que sur X, anciennement Twitter, les comptes climatosceptiques prenaient de l’ampleur. Selon cette enquête, les climatosceptiques représentaient 30 % des comptes parlant environnement en ligne.

« Les populations les plus réactionnaires ou réticentes à l’idée de changement climatique, notamment aux États-Unis, ce sont les hommes blancs conservateurs, analyse Mathieu Colin, chercheur à la chaire de l’Unesco en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, spécialiste des radicalités politiques et religieuses. D’autres études montrent que ce sont des gens avec des positions de pouvoir assez élevées et qui bénéficient d’un certain prestige : il y a un enjeu de préservation de pouvoir dans l’acte de nier le changement climatique. »­

Climatonégationnistes et pro QAnon

Rien d’étonnant alors à ce que les plus fervents défenseurs d’une masculinité traditionnelle voient dans l’écologie une perte de temps, une perte de leurs privilèges, ou un complot. « Pour les masculinistes ou l’extrême droite, il y a un ordre social patriarcal blanc à préserver, qui a dominé la société occidentale et la planète. Il y a donc un enjeu de sauvegarde des structures de pouvoir et des technologies », développe le chercheur Mathieu Colin.

L’étude de 2023 du CNRS sur les comptes climatodénialistes présents sur X se concentrait notamment sur un profil, celui d’Elpis_R, 25 000 abonnés. L’homme propage de la désinformation sur le réchauffement climatique et les thématiques environnementales, tout en mêlant des rhétoriques issues de mouvements conspirationnistes américains comme QAnon.

Elpis soutient notamment la théorie selon laquelle le dérèglement climatique actuel serait dû aux cycles de réchauffement climatiques naturels de la planète, normaux et présents depuis le début de notre ère. Il défend aussi l’idée que les politiques climatiques seraient le fait d’une volonté de contrôle de la part des gouvernements et des multinationales. 

Capture d'écran d'une vidéo postée sur X/Twitter. Au dessus de la vidéo, on lit ""Le CO2 n'a aucun effet sur le climat, rien. Le CO2 n'est que la nourriture des plantes, doubler le CO2 serait une très bonne chose, plus 40 % de croissance végétale. La vérité sortira quand le public réalisera qu'il a été volé par les multinationales au nom de la planète." Sur le vidéo, un vieil homme parle. Les sous-titres disent : "le dioxyde de carbone dans l'atmosphère n'est que de la nourriture pour les plantes".
Une des vidéos climatodénialiste d’Elpis sur X.

Cette désinformation rappelle le climatoscepticisme de l’extrême droite. « Ce sont des milieux qui pensent que le changement climatique est avant tout un agenda globaliste, et représente soit une hypocrisie totale de la part de ses dirigeants. Soit ils prétendent que les études du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] ou de l’Onu seraient basées sur une science fausse, car d’autres études viendraient les contredire », explique Mathieu Colin.

Lecture féministe du climatoscepticisme

La stratégie rhétorique est également à l’œuvre dans les milieux masculinistes. Par exemple, Andrew Tate n’hésite pas à remettre en cause le principe même de réchauffement climatique, pointant l’hypocrisie des dirigeants qui « achètent des maisons au bord de la mer », alors que la montée des eaux devrait les engloutir.

Le tout se double de propos conspirationnistes. Andrew Tate prétend ainsi régulièrement que les politiques climatiques sont une « création de la matrice » (une théorie du complot inspirée par le film Matrix récupérée par des cercles de pensée masculinistes, selon laquelle les gens sont généralement trompés par « une élite »). Pour le kickboxeur, les politiques climatiques seraient ainsi un outil pour contrôler les populations.

L’argumentaire est partagé par certains influenceurs d’extrême droite français aux relents virilistes, comme le YouTubeur Papacito, alias Ugo Gil Jimenez. L’hommea été condamné le 26 avril pour « pour injures publiques homophobes et provocation publique à commettre une atteinte volontaire à l’intégrité d’une personne » suite à une vidéo. Dans une autre vidéo relayée sur TikTok, Papacito remet en question l’idée de réchauffement climatique, avant de prétendre que « de toute façon il va y avoir un pass climatique [...], les populations sont complètement domestiquées, donc maintenant tout va passer ».

Capture d'écran d'une vidéo. Un homme chauve en t-short parle devant uen image d'avion qui s'écrase.
Le compte X d’Andrew Tate. Il écrit : « La matrice m’a peut-être emprisonné, mais je suis libre dans le Vrai Monde ». Il se et en scène devant une image d’avion qui s’écrase et explose.

En 2018, la chercheuse Cara Daggett, professeure en sciences politiques à l’université Virginia Tech, aux États-Unis, proposait une lecture féministe du climatoscepticisme, à travers le terme de « pétromasculinité » : la production et la consommation d’énergies fossiles seraient des éléments centraux de l’identité masculine dominante, particulièrement mobilisée à l’extrême droite [1].

Dans les productions des masculinistes sur YouTube, X, Instagram et TikTok, les liens entre masculinité et consommation d’énergie fossile s’entremêlent. Chez Andrew Tate ou le Français qui se dit « coach en séduction » Alex Hitchens, les modèles de masculinités présentés se suivent et se ressemblent : habits luxueux, cigares, voitures de sport et réussite financière.

« Quand on a du pouvoir, on a une confiance totale dans le fait de le conserver. Il y a une obsession autour de la préservation du pouvoir financier, et de la puissance associée », remarque Carine Pionett, chercheuse indépendante spécialiste des études de genre et de l’écologie politique.

Une autre question titille un grand nombre de défenseurs de la masculinité traditionnelle : la consommation de viande. En 2022, les élues écologistes Sandrine Rousseau et Marine Tondelier ont été victimes d’un cyberharcèlement de masse après avoir rappelé que manger de la viande avait un impact sur la planète. « Il y a bien un lien entre le patriarcat et la pression sur les ressources naturelles. Il y a des comportements virilistes qui ont plus d’impact sur la planète et qui sont aussi mauvais pour la vie en société », avait dit Marine Tondelier, provoquant une vague de commentaires insultants et de réponses sous forme de photos de steaks sur des barbecues.

« Manger de la viande, pour les mouvements masculinistes, devient presque un acte identitaire de sauvegarde de la masculinité. Car la consommation de viande est intrinsèquement liée à l’idée de masculinité », constate le chercheur Mathieu Colin. Dans les sphères masculinistes, on n’hésite pas à traiter les hommes proféministes « d’hommes-soja », et on se moque ouvertement des hommes végétariens ou végans, affirmant que la consommation de viande rouge ferait monter le taux de testostérone.

Une écologie misogyne et xénophobe

« L’extrême droite s’est aussi bâtie sur l’idée de glorification de la masculinité comme une glorification de la figure du guerrier », rappelle Mathieu Colin. Ainsi, ces nébuleuses parfois hétérogènes considèrent qu’il va falloir se battre contre l’idéologie dominante, celle du progressisme et du tri de ses déchets. Cependant, on a vu fleurir en ligne ces dernières années, parmi les militants masculinistes issus de la droite et de l’extrême droite, un discours propre sur l’écologie.

L’ex-directeur du Front national de la jeunesse, antiféministe notoire, Julien Rochedy, parle d’écologue dans des vidéos publiées sur YouTube ou Instagram. Il y défend l’idée que l’écologie ne devrait pas être laissée à la gauche.

« Il y a dans l’extrême droite française, l’idée de préservation du territoire comme préservation de l’identité française, mais également des traditions », explique le chercheur Mathieu Colin. Lui s’est intéressé dans ses recherches à l’écofascisme, qui joue sur un imaginaire de nature mythifiée et glorifiée, « avec un lien organique entre la terre, un territoire, un peuple et une race ».

Dans cet imaginaire, développé par une partie de l’alt-right étasunienne, la préservation du territoire national se fait au détriment d’autres populations jugées inférieures, qui devraient être repoussées, voire éliminées. Cette idéologie n’est pas cantonnée aux États-Unis.

En France, Tenesoun, groupe d’ultra droite héritier de Bastion social, un mouvement néofasciste dissout en 2019 par le gouvernement, entend aujourd’hui faire de « l’écologie de terrain » [2] et tracte sur les marchés.

Dans ces groupes néofascistes, « l’idée d’une forte binarité de genre est présente, avec un homme qui est la main armée de la civilisation, et une femme protectrice du foyer qui permet à la race de se perpétuer », analyse Mathieu Colin. Même en se parant de vert, les groupuscules masculinistes et d’extrême droite ne cachent ni leur xénophobie ni leur misogynie.

Pauline Ferrari