Santé

Pour éviter les pénuries de médicaments, des pistes concrètes pour relocaliser la production

Santé

par Rachel Knaebel

La pandémie de Covid a révélé les risques de rupture d’approvisionnement de certains médicaments essentiels. L’Observatoire pour la transparence dans les politiques du médicament met en avant une solution : relocaliser, mais pas n’importe comment.

Lors des premiers mois de l’épidémie de coronavirus en France, au printemps 2020, les services de réanimation des hôpitaux peinent à se procurer les médicaments sédatifs et antidouleurs nécessaires aux malades. « À cause de cette pénurie, pendant la première vague du Covid, ces médicaments ont été utilisés en priorité dans les unités Covid et remplacés en Ehpad par du Valium ou des formules vétérinaires de sédatifs, rappelle Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), une organisation de la société civile créée en 2019 par des anciens d’Act Up. Nous avons demandé alors au gouvernement de lancer une production publique de ces curares, nous n’avions pas eu de réponse. Aujourd’hui, le gouvernement admet qu’il a essayé d’en faire produire dans les hôpitaux. » 

Dans l’avant-projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, le gouvernement écrit que « lors de la crise, les établissements publics se sont mobilisés avec des sous-traitants privés pour produire en urgence des médicaments critiques (cisatracurium, atracurium) ».

C’est donc que, finalement, une production publique de médicaments est possible. Pour les activistes d’OTMeds, c’est aussi nécessaire. Ils viennent de publier le 1er octobre un rapport, avec le soutien du groupe de la gauche au parlement européen, pour la « relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et dans les États membres » [1].

« En aucun cas la relocalisation ne doit se faire en laissant les mains libres aux industriels »

« La question de la capacité de l’État à organiser un secteur public du médicament doit être posée. Car aujourd’hui, 80 % des principes actifs des médicaments sont produits hors de l’Union européenne, principalement dans des pays asiatiques, a souligné Manuel Bompard, député de La France insoumise au Parlement européen, lors de la présentation du rapport. Le phénomène des pénuries de médicament est en hausse continue depuis des années, aussi parce que les firmes pharmaceutiques pratiquent la production à flux tendus pour éviter le coût des stocks. » Pour le député, « en aucun cas la relocalisation ne doit se faire en laissant les mains libres aux industriels ».

« Que faire pour que les États membres de l’Union européenne reprennent la mains sur la production pharmaceutique », demande OTMeds dans son rapport. Pour y répondre, l’organisation formule une série de propositions : cartographier la production européenne des différents médicaments ; cartographier les investissements réalisés par les États, l’Union européenne et les entreprises pharmaceutiques privées, pour évaluer le niveau d’argent public injecté dans le secteur ; améliorer la gestion des stocks pour éviter des pénuries comme au printemps 2020 ; avoir pour règle de base qu’un même médicament soit produit au moins dans trois pays différents, pour éviter les ruptures d’approvisionnement en cas de crise spécifique dans un territoire ; réformer les critères des brevets pour faciliter la production publique quand c’est nécessaire.

« Les industriels disent que les brevets sont légitimés par la prise de risque, mais c’est de l’argent public qui assume aujourd’hui l’essentiel de ce risque, pointe Jérôme Martin, d’OTMeds. L’innovation, elle est du côté de la recherche publique. Si on met de l’argent public, pourquoi ne pas tenter une production publique. »

Aux Pays-Bas, une production publique pour contrer les prix démentiels des labos

OTMeds prend l’exemple du Brésil, qui a mis en place dans les années 1990 une politique nationale du médicament et lancé une production publique pour répondre aux besoin du système de santé. « Au Brésil, on voit que la production publique a fait baisser les prix des médicaments », indique Pauline Londeix. Aux États-Unis, une fondation, Open-Insulin, a développé un projet de production locale d’insuline à petite échelle et hors du secteur privé. La gouvernance de la fondation est assurée par des chercheurs mais aussi par des personnes atteintes de diabète.

En Europe, les Pays-Bas ont mis en œuvre une production publique de certains médicaments dans les laboratoires de leur hôpitaux, parce que les entreprises pharmaceutiques voulaient quintupler le prix de leurs produits (voir notre article sur la production publique de médicaments aux Pays-Bas).

« Tout le monde parle de relocalisation aujourd’hui, mais toutes les relocalisations ne veulent pas dire la même chose, ajoute le député européen Manuel Bompard. Nous voulons une relocalisation qui s’appuie sur un pôle public du médicament, et cela ne veut pas dire qu’on nationalise toute la production. »

L’enjeu de l’accès aux médicaments était devenu visible dans le monde entier avec la pandémie de VIH, il s’est posé à nouveau en Europe ces dernières années avec des médicaments vendus une fortune par les labos, comme le Sovaldi contre l’hépatite C (41 000 euros la cure en France lors de sa mise sur le marché en 2014). Le Covid a encore une fois rebattu les cartes. « Derrière les questions industrielles se cachent des questions d’éthique et de droit à la santé, insiste Pauline Londeix, qui déplore aussi un manque de compétence sur le sujet des personnes qui mettent en œuvre les politiques publiques en France en ce moment ».

Rachel Knaebel

Photo : CC BY-NC-ND 2.0 Sanofi Pasteur via flickr.

Notes

[1OTMeds, « Relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et dans les États membres », voir ici.