Alternatives

Comment maraîchage bio et énergie solaire permettent l’autonomie de villageoises au Sénégal

Alternatives

par Caroline Celle

Dans la communauté rurale d’Ouonck, dans le sud du Sénégal, des femmes cultivent des jardins maraîchers bio en partenariat avec une ONG française. En deux ans, elles ont acquis l’autonomie alimentaire et financière.

Dans le village de Diagho, en Casamance, au sud du Sénégal, un petit groupe de femmes arrose et surveille son jardin maraîcher. Les parcelles de légumes sont entourées d’une clôture, mais elles se trouvent au beau milieu de la forêt. Dès que les villageoises ont le dos tourné, des singes s’aventurent à piquer les récoltes. « Ici, on fait pousser des poivrons, des oignons, des gombos, et même des bananiers », énumère la maraîchère Diebou Manga, assise sur un tapis à l’ombre.

Depuis 2022, les femmes du village de Diagho participent à un projet de maraîchage en agriculture biologique, baptisé « Égales ». L’ONG française Fondation énergies pour le monde (Fondem) a installé des jardins dans sept villages de la communauté rurale d’Ouonck, nichée entre les forêts de baobabs et le fleuve Casamance. L’objectif est de structurer l’activité agricole d’environ 300 femmes, pour développer leurs ressources alimentaires et économiques.

Une femme sourit devant un jardin maraîcher
Chaque jardin a un panneau solaire relié à des pompes pour l’arrosage.
©Caroline Celle

En Casamance, des associations et entreprises privées multiplient désormais les projets d’électricité solaire. La Fondem est spécialisée dans l’électrification rurale en Afrique, et elle a investi dans un système de pompe solaire dans les jardins de Ouonck. Plusieurs habitants de la commune sénégalaise ont formé un comité de gestion d’électrification solaire pour fournir eux-mêmes le service et la maintenance de l’énergie solaire.

« Chaque jardin a un panneau solaire qui est relié à des pompes, explique Mobutou Diédhiou, agriculteur et coordinateur du comité. Les pompes permettent d’alimenter le jardin en eau pour arroser les légumes. Comme cela, il n’y a pas besoin d’extraire l’eau manuellement. » Dix-huit panneaux ont été installés en tout.

Une source de revenus

L’arrivée de l’énergie solaire a un peu chamboulé la vie des femmes d’Ouonck. Dans cette commune au mode de vie traditionnel, la plupart des foyers n’ont pas l’électricité et les mères passent de longues heures à cuisiner au charbon. Avant de cultiver des légumes, les villageoises travaillaient dans les rizières.

« Le riz servait à nourrir nos familles et on avait du mal à mettre de l’argent de côté, témoigne Diebou Manga, présidente du jardin de Diagho. Les vaches et les chèvres abîmaient nos champs parce que les familles n’ont pas forcément les moyens de les garder dans un enclos ici. Et notre matériel tombait souvent en panne. »

À Ouonck, de nombreuses jeunes femmes ne veulent plus connaître les conditions de travail difficiles des rizières. D’autant qu’elles ont souvent bien d’autres activités à gérer pour la communauté, assez isolée. Dans son village, Mariama Diédhiou aide par exemple les femmes à accoucher. « C’est une activité bénévole et cela ne m’assure aucun revenu, regrette-t-elle. Mais depuis que je travaille au jardin maraîcher, j’ai pu ouvrir mon premier compte bancaire. »

Une femme dont la tête est couverte d'un chapeau verse du compost dans un champs.
Dans les jardins maraîchers d’Ouonck, les cultivatrices utilisent les méthodes de l’agriculture biologique.
©Caroline Celle

Dans les jardins d’Ouonck, chaque femme gère deux parcelles de légumes destinées à sa consommation personnelle et trois parcelles destinées à la vente au marché. « Avec l’argent des ventes, je peux acheter du charbon et des fournitures scolaires, poursuit Mariama. J’économise aussi pour que ma fille aille à l’université, parce qu’elle va bientôt passer le bac. »

Très investie dans le projet, Mariama est devenue la secrétaire du jardin de Diagho. Chaque terrain est géré par les femmes des villages sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, avec une présidente, une secrétaire et une trésorière. Certaines maraîchères ont d’autres responsabilités comme l’entretien quotidien du panneau solaire.

Des formations à l’agriculture biologique

Dans le village de Diéba, séparé de Diagho par une courte route bordée de palmiers et de champs, d’autres femmes s’affairent au jardin. Fatou-Bintou Sané, la vice-présidente du terrain, pèse de gros poivrons jaunes sur une balance. La récolte des piments vient de commencer et les villageoises iront bientôt vendre leur production ensemble au marché de Bignona, la ville la plus proche, puis dans les communes voisines.

« Chaque mois, on réunit les femmes de notre jardin pour décider des prochains légumes qu’on va planter et vendre, explique Fatou-Bintou. On a une caisse commune qui nous permet d’acheter nos semences et les ingrédients pour le compost. » Dans les jardins d’Ouonck, tous les engrais sont naturels, car les maraîchères doivent cultiver selon les méthodes de l’agriculture biologique d’après le projet de l’ONG. Pour développer leur savoir-faire et conserver leur label bio, elles sont suivies tout au long de l’année par les formateurs sénégalais de l’Ancar (Agence nationale de conseil agricole et rural) et de l’ISEP (Institut supérieur d’enseignement professionnel) de Bignona.

Une femme arrose un plan
Les villageoises cultivent chacune deux parcelles de légumes pour leur consommation personnelle, et trois parcelles destinées à la vente dans les marchés des communes voisines.
©Caroline Celle

À Souda, un des villages qui forment la communauté rurale d’Ouonck, les maraîchères ont rendez-vous pour une nouvelle après-midi de formation, sur la place du village. Une à une, les femmes s’installent sur des bancs en bois. Aramata Bodiang, agente de l’Ancar, commence les explications : « Aujourd’hui, on va apprendre comment fabriquer un biopesticide pour empêcher les insectes d’attaquer les plantes. Il va nous falloir des feuilles de neem, de l’huile, de l’ail, du savon noir… »

Sur les conseils d’Aramata, les villageoises de Souda se lancent dans la préparation. Plusieurs d’entre elles pilent l’ail et les feuilles de neem dans de grands mortiers en bois, tandis que la secrétaire du jardin retranscrit la recette sur un carnet pour la mémoriser. « Maintenant, vous pourrez reproduire la préparation au jardin et je passerai vous voir pour vérifier que tout se passe bien », conclut Aramata.

Un projet de coopérative agricole

En deux ans de projet, les maraîchères d’Ouonck savent désormais fabriquer de l’engrais pour leurs plants ou encore faire pousser la salade en pépinière. « Le projet de la Fondem se termine fin avril 2024, indique Dominique Wadaï, ingénieur chargé du projet. La principale difficulté d’un projet associatif, c’est de pérenniser l’activité qui a été lancée. Mais les habitants d’Ouonck sont très motivés. »

Sept femmes assises sur le sol au pie d'un abre discutent, l'une prend des notes.
Les femmes de chaque jardin maraîcher forment des groupements d’intérêt économique pour mettre en commun leur activité. Elles organisent des réunions tous les mois pour décider des légumes à planter et des semences à acheter.
©Caroline Celle

Formée par des habitants de la commune, la structure locale du comité de gestion d’électrification solaire prendra la relève de la Fondem pour assurer la maintenance du matériel solaire. Le comité et les maraîchères d’Ouonck ont aussi lancé des démarches pour se regrouper au sein d’une coopérative agricole.

« La coopérative nous permettra de faire des achats communs et de mutualiser nos moyens de production, explique Mobutou Diédhiou. Au fil des années, on aimerait que les 24 villages de notre communauté puissent tous avoir leur exploitation, dans une grande coopérative maraîchère. »

Dans les jardins d’Ouonck, les femmes commencent déjà à faire la liste de leurs souhaits pour la future coopérative. Avec le budget collectif, elles aimeraient acheter une fourgonnette pour vendre leurs légumes dans les marchés, et ne plus dépendre du « taxi-brousse », le taxi collectif.

« On veut aussi une chambre froide pour stocker nos légumes au frais en ville, ajoute Diebou. Comme cela, on pourra les vendre quand le cours des prix remontera. » « Maintenant, on est des malignes, on sait comment faire des affaires ! » lance la présidente du jardin de Diagho dans un éclat de rire.

Caroline Celle

Photo de une : ©Caroline Celle