Ecole

Faire classe hors les murs : une alternative apaisante pour les enfants comme pour les enseignants

Ecole

par Nolwenn Weiler

Déplacer l’école dans les parcs, les sentiers de campagne, les rues : peu coûteuses, ces méthodes pédagogiques permettent aux enfants de continuer d’apprendre sans se confiner devant un écran.

« Et si nous faisions la classe dehors ? » Cette suggestion a été avancée fin avril par plusieurs dizaines de chercheurs, enseignants et acteurs associatifs, un peu avant que la France sorte d’un confinement de huit semaines. Éviter la promiscuité, permettre aux enfants longtemps enfermés de libérer leur énergie, renforcer leur systèmes immunitaires : investir les parcs et jardins, sentiers de campagne et bords de mer semble plus sage que s’enfermer dans des espaces clos, propices à la circulation du virus.

« La démarche ne serait pas seulement sanitaire », appuyaient les signataires de cette tribune. Le contact avec la nature « favorise le développement cognitif, émotionnel et moteur des enfants » [1]. Il y a longtemps, déjà, que l’on sait tout cela. Cela fait près de 40 ans que l’éducation à l’environnement a fait son apparition en France. Mais la pratique de l’école « au-dehors » y reste balbutiante, réservée à une poignée d’écoles. En cause : le manque de formation des enseignants, et la forte hiérarchisation de l’Éducation nationale, qui rend toute sortie compliquée.

« Leur environnement est plus vaste, chacun peut y trouver sa place »

« Dès que les enfants sortent, ils sont moins en concurrence, remarque Julie Delalande, anthropologue de l’enfance et chercheure en sciences de l’éducation. Leur environnement est plus vaste, chacun peut y trouver sa place. Il y a une aisance, de la tranquillité. L’environnement sonore est plus confortable, l’ambiance est plus apaisée. Ils retournent en classe avec ces souvenirs de moments apaisés passés ensemble. » Très riche pour la motricité, puisque les enfants peuvent courir, grimper ou transformer une branche en poutre, l’école hors les murs favorise les apprentissages.

« On peut travailler sur les saisons, sur la faune et la flore, sur l’orientation est-ouest, décrit Julie Delalande. On peut aussi faire des opérations de calcul avec des bouts de bois. » En ville, « on peut aller au parc avec les tout petits, dénombrer les fleurs, découvrir les couleurs, apprendre ce qui est petit ou grand, ce qui est dessus et dessous », raconte Frédérique Aïdid, enseignante dans une classe pour enfants allophones à Paris [2]. Avec des collègues parisiens syndiqués à Sud Éducation, ils avaient demandé que la reprise du 11 mai soit conditionnée à la réouverture des parcs et jardins, avec des plages réservées aux scolaires. « Cela a été fait en Italie ou au Danemark », cite l’enseignante.

Au départ interdites, les sorties ont finalement pu reprendre peu à peu, grâce à l’insistance des enseignants, et au soutien de certains conseillers pédagogiques. « Pour nous c’était vraiment important, reprend Frédérique Aïdid. Après avoir passé deux mois enfermés, les enfants avaient vraiment besoin de sortir. Dans le quartier où je travaille, ils ont eu des conditions de confinement difficiles, avec des logements très petits. Ils ont manqué d’exercice. Beaucoup ont grossi. »

« Cela rompt avec le besoin d’assouvir immédiatement ses désirs et ses pulsions »

« Être dehors est une source de plaisir et d’invention pour les enfants, reprend Julie Delalande. Cela amène l’enseignant à nouer de nouveaux rapports avec ses élèves. » « Ce sont des moments précieux pour parler, renchérit Frédérique Aïdid. C’est important pour mes élèves dont certains ne parlent pas bien le français. Là, on est côte à côte, on discute. Comme des parents nous accompagnent, il y a davantage d’adultes, cela permet de réserver des petits moments d’intimité dans le dialogue dont les enfants ont besoin. »

Souvent, les enseignants « sont plus attentifs à ce que font les enfants, à la manière dont ils sont en interaction les uns avec les autres. Ils se rendent compte qu’il n’y a pas plus d’accidents que dans la cour, deviennent plus confiants. Tout cela est bénéfique pour les enfants », ajoute l’anthropologue.

« Quand ils s’occupent d’un potager, les enfants sont obligés d’apprendre à patienter, observe Christophe Cailleaux, professeur d’histoire-géographie dans un lycée de l’agglomération de Dijon, et membre du Snes. Ce qu’ils sèment aujourd’hui ne va pas pousser dès le lendemain. Cela rompt avec le besoin d’assouvir immédiatement ses désirs et ses pulsions, avec cette accélération qui nous aliène. Ce sont des choses que l’on peut réutiliser en termes cognitifs. Tu fournis un effort mais il n’apporte pas immédiatement ses fruits, c’est comme ça. Cela peut aider à dédramatiser ses erreurs. »

« Ils apprennent à agir sur le monde sans le détruire »

« Les enfants qui ont la chance de faire l’école hors de leur classe auront une expérience sensible de l’environnement. C’est une grille de lecture qu’ils pourront mobiliser ensuite, pour comprendre les enjeux écologiques par exemple », intervient Julie Delalande. « Ils apprennent à agir sur le monde sans le détruire », glisse Christophe Cailleaux [3]

L’école hors les murs n’est pas réservée au milieu rural, ni au seul lien avec la nature. « Avec les plus grands élèves, je fais des chasses aux polygones dans les rues de Paris, explique Frédérique Aïdid. Armés de leurs appareils photos, en petits groupes, ils partent ainsi à la découverte de leur ville. » Ailleurs, reprenant l’idée des classes promenades théorisées par le pédagogue Célestin Freinet au 20e siècle, des enseignants construisent avec leurs élèves des « plans » pour qu’ils aillent, seuls, jusqu’au centre-ville. « Pour certains gamins des quartiers périphériques, apprendre à se débrouiller hors de l’école relève d’une nécessité, tant ils ont de peine à s’approprier les espaces publics », remarque Guillaume Sabin, chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Rennes I.

« S’émanciper, cela signifie sortir – par soi même – de trajectoires imposées »

Prendre le bus, interroger le chauffeur, lire une carte, arpenter les rues du centre-ville sont autant d’occasions de se découvrir de nouvelles compétences, en s’échappant un temps des espaces auxquels ils sont assignés. « S’émanciper, cela signifie sortir – par soi-même – de trajectoires imposées, rappelle Guillaume Sabin. Permettre aux enfants de fréquenter des espaces pour lesquels ils n’étaient – a priori – pas programmés, cela pourrait vraiment être un travail de l’école. L’école du dehors suscite la curiosité et on ne peut pas apprendre sans curiosité. »

Le problème, en France, c’est qu’il n’est pas toujours aisé d’organiser des sorties. « La première limite est hiérarchique, estime Julie Delalande. Pour sortir, les enseignants ont besoin d’une autorisation de leur inspecteur. Il peut être partie prenante ou, au contraire, dire que ce n’est pas possible. Il y a vraiment un souci avec cette institution descendante qui ne fait pas assez confiance à ses acteurs. C’est très oppressant pour les enseignants. Ils sont toujours contraints par une institution qui pense et décide à leur place. » L’anthropologue ajoute qu’il peut aussi y avoir des réticences du côté des parents, mais elles sont « plus facilement levées. »

« Dans nos villes vidées d’espaces verts, ce n’est pas toujours facile de savoir où aller »

« C’est tout un truc administratif de sortir les élèves de l’école, ironise Christophe Cailleaux. Il faut vraiment être motivé, ne pas avoir peur de la paperasse. Dans le secondaire, on ne peut poser que des créneaux d’une heure. C’est peu. À moins de s’organiser à plusieurs collègues, mais c’est rare. Et dans nos villes hyper-industrialisées, vidées d’espaces verts, ce n’est pas toujours facile de savoir où aller. » « Tous les milieux urbains ne permettent pas de sortir facilement, approuve Frédérique Aïdid. Devoir marcher longtemps pour trouver quelque chose à faire, c’est compliqué. » Véronique Decker ne dit pas autre chose. Enseignante à la retraite et directrice d’une école dans un quartier populaire de Seine-Saint-Denis pendant de nombreuses années, elle déplore le manque d’espaces accueillants à proximité immédiate des écoles.

« Au sein même des écoles, les espaces extérieurs – cours et préaux – sont de plus en plus petits, remarque-t-elle. Rares sont celles qui ont encore un jardin. » Elle remarque que la taille des écoles ne facilite pas non plus les sorties. « Dans les écoles de banlieues, qui comptent souvent plus de 15 classes, l’espace manque pour ranger les bottes que les enfants doivent déposer au seuil de leurs classes quand les sorties sont finies. » Pour elle, il devient urgent de revenir à des écoles plus modestes, avec des groupes plus petits qui seraient du coup plus mobiles. La paupérisation des quartiers populaires, avec des services publics en berne, pose aussi problème selon l’ancienne directrice. « Quand j’enseignais à Bobigny, on ne pouvait aller à la bibliothèque que deux ou trois fois par an, parce qu’il n’y avait qu’une bibliothèque pour 10 groupes scolaires qui ont tous entre 10 et 18 classes ! »

Convaincre les enseignants et... leur hiérarchie

« L’autre problème, c’est que les enseignants ne sont pas formés, estime Julie Delalande. Ils ne voient pas forcément le bénéfice de ces sorties. » Il existe pourtant nombre de ressources, comme le réseau École et Nature, L’Institut de formation et de recherche en éducation et environnement (Ifrée) ou la « Dynamique sortir ». Dans certains départements, les conseillers pédagogiques sont des porte-paroles convaincus de l’école au dehors. Ils impulsent de nombreuses formations et actions en ce sens. Julie Delalande conseille aux enseignants qui veulent se lancer de « rendre visite à d’autres équipes qui font déjà ce genre de choses, ou de faire une formation ensemble. C’est plus facile si on fait le projet en équipe. »

Elle précise qu’ils ont besoin de se sentir soutenus, par leur hiérarchie, et par les parents. « Moi, ça me fait rêver », dit tout simplement François H., enseignant à Paris, qui a découvert ces classes hors les murs en suivant des fils WhatsApp créés pendant le confinement, et qui continuent de relier certains groupes d’enseignants. « J’y vois plein d’opportunités pédagogiques. L’occasion d’innover. Et celle aussi, de me sentir mieux, plus heureux d’enseigner. » Il n’a pas tort. L’école hors les murs, c’est bon aussi pour les enseignants ! « Je suis en train de vivre un rêve professionnel », rapporte Élise Sergent, enseignante auprès de CM1/CM2 et pratiquante de l’école en forêt. Elle ajoute qu’elle se souviendra toute sa vie des premiers moments de « coin nature », au cours desquels chaque enfant vaque à ses occupations au pied d’un arbre qu’il a choisi [4]. « Je les voyais dormir, jouer avec un bout de bois, observer un vers de terre dans une feuille... Je me suis dit : "Wahou, est-ce que c’est vraiment moi, est-ce que je suis vraiment maîtresse dans cette école avec ces enfants-là ?!" Mais oui, cela se passe pour de vrai ! »

Nolwenn Weiler

Photo d’illustration : CC Luc Durocher

Notes

[1À propos des effets bénéfiques pour les enfants du temps passé dans la nature, voir cette étude.

[2Frédérique Aïdid enseigne dans une classe Up2A = Unité Pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants. Ce sont des classes spéciales pour des élèves arrivés en France depuis moins de douze mois et ne parlant pas Français (allophones)

[3Sur le lien entre la nature et les enfants comme ferment de prise de conscience écologique voir cette tribune cosignée par le réseau École et Nature.

[4Voir ici.