Technologies

Ondes électromagnétiques : vers un nouveau scandale sanitaire ?

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par Simon Gouin

Quel est l’impact des ondes électromagnétiques sur la santé ? Et quels sont les seuils à ne pas dépasser ? Malgré les alertes scientifiques, les pouvoirs publics français peinent à prendre des décisions en la matière. Alors que de nouvelles antennes sont installées un peu partout en France, avec l’arrivée du quatrième opérateur de téléphonie mobile, seules les mobilisations de citoyens, encouragées par des associations, semblent faire bouger les lignes.

« On court derrière un TGV », explique Marc Arazi, coordinateur national de l’association Priartem, qui demande une réglementation sur l’implantation d’antennes-relais de téléphonie mobile. En ce moment, son association est sur tous les fronts. Et ils sont nombreux. Un peu partout en France, de nouvelles antennes-relais sont installées. Ce sont celles de Free mobile, qui va devenir, début 2012, le quatrième opérateur de téléphonie mobile français. Selon les jours, Priartem reçoit entre 6 et 10 demandes pour soutenir des riverains qui luttent contre ces installations. « Tous les jours, des réunions publiques sont organisées à travers le pays », résume Marc Arazi.

Ici, des parents d’élèves luttent contre une antenne située à proximité de l’école de leurs enfants. Là, des habitants d’un lotissement demandent qu’une antenne installée dans le jardin de leur voisin soit déboulonnée. « Les opérateurs peuvent donner entre 10 000 et 15 000 euros par an à un particulier pour qu’il héberge une antenne relais », note Marc Arazi. Quant à la « 4G », il en a vaguement entendu parler. « Les opérateurs nous disent qu’elle permettrait de réduire les émissions, rapporte-t-il. Mais nous ne les croyons pas. »

Des municipalités préfèrent la prudence

Des municipalités prennent des arrêtés. Comme, par exemple, la commune de Varades, en Loire-Atlantique, qui a demandé, début septembre, l’abaissement des ondes électromagnétiques à 0,6 V/m sur son territoire. Un seuil que préconise le Conseil de l’Europe depuis mai 2011. En février 2010, la mairie de Bordeaux a également voté une réglementation restrictive pour l’implantation d’antennes de téléphonie mobile : les riverains seront désormais associés à la décision [1]. À Paris, après l’échec des négociations sur le renouvellement de la charte des opérateurs, toute nouvelle installation d’antenne a été suspendue par la municipalité. Les opérateurs (Bouygues, Free, SFR, Orange) souhaitaient l’augmentation du seuil de puissance autorisée [2].

« Les municipalités sont responsables des nuisances produites par une entreprise qui est sur leur territoire, indique Catherine Gouhier, secrétaire générale du Criirem, le Centre de recherche et d’information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants. Le Criirem informe les municipalités, qui ont la possibilité de refuser l’installation d’antennes sur leurs bâtiments publics. Mais les maires sont-ils en droit de prendre des arrêtés dans ce domaine ? Le Conseil d’État devrait prochainement se prononcer contre ces décisions : « Les décisions du maire ne peuvent se substituer à celles du ministère chargé des communications numériques et de l’Agence nationale des fréquences [en charge du contrôle des fréquences] », a recommandé Xavier de Lesquen, rapporteur au Conseil d’État, chargé d’examiner les arrêtés de deux communes restreignant l’implantation d’antennes relais.

Un décret signé à la hâte

Une recommandation surprenante ? Pas si l’on en croit les révélations du Canard enchaîné [3] : Xavier de Lesquen est l’ancien patron du Défi Bouygues Telecom Transiciel, qui a participé en 2000 à la Coupe de l’America, « avec un bateau de 60 millions de francs dont les deux tiers ont été fournis par l’opérateur de téléphonie mobile »… Des faits trop anciens pour qu’un conflit d’intérêts existe, a répondu le Conseil d’État.

Mais un arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier, en septembre dernier, pourrait changer la donne. Il ordonne à SFR de démonter une antenne située à 80 mètres des maisons des plaignants. Ce jugement nie le rôle de service public souvent mis en avant par les opérateurs, et s’appuie sur le principe de précaution. « Une première qui risque de faire jurisprudence », se félicite Catherine Gouhier. Seule la justice, saisie par des citoyens, semble pouvoir pallier la réglementation française pour le moins laxiste dans ce domaine. Trois parlementaires européens, dont la française Michèle Rivasi (EELV), fondatrice du Criirem, ont demandé la révision des limites européennes d’exposition, qui datent de 1999 ! De nombreux appareils sans fil n’existaient pas encore... « Nous sommes au-delà de la phase d’alerte concernant l’utilisation abusive de la téléphonie mobile », a déclaré l’euro-députée.

De flagrants conflits d’intérêts

En France, c’est le décret du 3 mai 2002, signé à la hâte entre les deux tours de l’élection présidentielle, qui fixe les émissions maximales des antennes. Selon les fréquences, les puissances autorisées vont de 41V/m à 61V/m. Loin du 0,6 V/m aujourd’hui préconisé par les scientifiques et le Conseil de l’Europe ! Ces puissances sont tellement élevées qu’elles ne sont jamais atteintes. Autant dire que les opérateurs ne sont pas contraints… Mais un second décret, d’octobre 2006, vient contredire le premier. Il fixe une limite de 3V/m à la compatibilité électromagnétique des appareillages électroniques, par exemple les pacemakers. « Personne ne vérifie que cette norme est appliquée, regrette Catherine Gouhier. L’Agence nationale des fréquences n’est chargée que du décret de 2002. Pour celui de 2006, c’est le service des fraudes et des douanes qui doit s’en charger. » Or, ce service n’a pas d’ingénieur qui soit compétent dans ce domaine, ni d’instrument de mesure.

Mais sur quelles données scientifiques repose le décret du 3 mai 2002 ? Sur les recommandations de l’Institut international de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). Or « l’ICNIRP a été dénoncé par les eurodéputés comme étant une émanation des industriels du secteur », indique l’association Robin des Toits, qui lutte contre les dangers supposés de la téléphonie mobile. Parmi les membres de cet institut, on trouve notamment Bernard Veyret, un scientifique français dont le laboratoire reçoit des financements d’Orange et de Bouygues Telecom, comme le montre sa déclaration d’intérêts personnels.

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »

Des conflits d’intérêts qui sont apparemment nombreux. Ainsi, les études démontrant la non-nocivité des ondes sont souvent réalisées par des scientifiques liés aux opérateurs. En reliant les études et leurs sources de financement, un article du journal américain Microwave News fait apparaître que les études commanditées par les entreprises et l’armée de l’air des États-Unis montrent majoritairement que les ondes électromagnétiques n’ont aucun effet… Autre exemple : en mai dernier, s’est tenue une réunion au Centre international de recherche sur le cancer, le laboratoire de l’organisation mondiale de la santé (OMS) installé à Lyon. Juste avant cette réunion, l’association Priartem révèle que le président du groupe d’experts « épidémiologie », Anders Ahlbom – également expert pour l’ICNIRP –, exerce une activité de conseil auprès des entreprises de télécommunications. « Le lendemain, il était remplacé. Et l’OMS a ensuite classé les ondes électromagnétiques comme étant possiblement cancérigènes », raconte Marc Arazi. Sans la révélation de ce conflit d’intérêts, l’OMS aurait-elle pris cette décision ?

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », cite Franz Adlkofer [4] pour expliquer l’effet de ces études qui affirment que les ondes électromagnétiques ne sont pas nocives pour la santé. Entre 2000 et 2004, ce professeur allemand a coordonné l’étude européenne Reflex, sur les ondes électromagnétiques, rassemblant les travaux de 12 équipes de chercheurs, provenant de 7 pays différents. Ses résultats montrent les dommages génétiques provoqués par une exposition chronique aux rayonnements des fréquences utilisées par la téléphonie mobile.

Le Wifi interdit dans les écoles

Les effets génétiques sont également pointés dans le rapport Bioinitiative, publié en 2007 et portant sur 1 500 publications scientifiques. Ce rapport alerte aussi sur les liens entre ondes électromagnétiques et tumeurs du cerveau, neurinomes acoustiques, cancers enfantins, effets neurologiques, maladie d’Alzheimer, cancers du sein, etc. Les chercheurs appellent à un seuil de précaution sanitaire de 0,6V/m. Un seuil repris par le Conseil de l’Europe, en mai 2011, qui préconise même, dans un deuxième temps, son abaissement à 0,2V/m.

Or, en moyenne, en France, les niveaux d’exposition se situeraient entre 0,1 et 5 V/m, d’après un rapport publié en août 2011, à la suite du Grenelle des ondes de 2009. Ou, d’après le Criirem, qui finalise actuellement une étude statistique sur le sujet, entre 1 et 2 V/m sur 80 % du territoire. Loin, en tout cas, du 0,6V/m préconisés par les scientifiques. Sans compter que ces recommandations ne concernent pas le Wifi, dont les émetteurs se multiplient, et dont les effets seraient également nocifs. L’Angleterre, l’Allemagne et l’Autriche l’ont d’ailleurs interdit dans les écoles. En France, aucune réglementation ne vient contraindre son utilisation. Pourtant, ces technologies auraient un effet déclencheur ou promoteur de l’électro-hypersensibilité de plus en plus de personnes.

L’enfer pour les personnes électro-hypersensibles

Depuis deux ans, Anne Cautain s’est réfugiée dans une grotte d’un hameau des Hautes-Alpes. En janvier 2009, cet agent d’entretien d’une résidence universitaire est devenue électro-hypersensible. Elle vivait dans un appartement HLM, situé à 50 mètres de 3 antennes-relais installées sur un toit d’immeuble. L’installation du Wifi sur son lieu de travail a déclenché ses symptômes : douleur intracrânienne très forte, tachycardie, veines des bras qui gonflent, picotements cutanés au bas du visage, troubles digestifs, sensation de brûlures. Anne Cautain a d’abord essayé de dormir dans une cave ou dans une voiture, avec une couverture de survie. Puis sa sensibilité s’est amplifiée : elle est devenue sensible aux appareils électriques, du réfrigérateur jusqu’au réveil alimenté par une pile.

Ce n’est que dans une grotte qu’elle a pu trouver refuge, les parois de la roche empêchant les ondes de passer. Puis elle a pu louer une petite maison de l’ONF pendant quelques mois. Une maison en dehors de tout champ électromagnétique, disponible jusqu’à la fin de l’été. « Il est très difficile de trouver des endroits sans onde », note sa fille, qui cherche à alerter les pouvoirs publics. « Ma mère va devoir retourner dans sa grotte, pour y passer l’hiver. » À la suite de l’installation de nouvelles bases d’émission d’ondes, l’entrée de la grotte est désormais « irriguée ». Anne Cautain ne peut plus s’en approcher.

En quête d’une « zone blanche »

L’électro-sensibilité d’Anne Cautain est survenue subitement. Mais dans la majorité des cas, l’apparition des troubles est plus progressive. C’est le cas, par exemple, pour Marine Richard. Écrivaine et journaliste, cette femme de 36 ans a tout quitté pour échapper aux ondes. Elle vit aujourd’hui dans une roulotte, dans le jardin d’une amie. « En présence d’ondes, certaines parties de mon cerveau sont moins irriguées, explique-t-elle. Notamment la zone de la mémoire, comme pour les malades d’Alzheimer. Je suis en état de choc, je ne réagis plus. »

Marine Richard est porte-parole de l’association Une terre pour les EHS – EHS pour électro-hypersensibles. Créée en avril 2011, soutenue par des médecins, des scientifiques, et des organisations nationales et internationales, l’association compte aujourd’hui plus de 400 membres. Et des « appels au secours » affluent tous les jours. En septembre dernier, l’association a organisé un rassemblement d’EHS dans la forêt de Saoû, à 40 km à l’est de Valence, l’une des dernières « zones blanches » en France. Son objectif ? Interpeller les pouvoirs publics sur leur pathologie, et demander la création d’un lieu préservé des champs électromagnétiques où les EHS pourraient vivre sans mettre en danger leur santé.

Vers un nouveau scandale sanitaire ?

Pour l’instant, leur demande s’avère vaine. Pire, l’indifférence générale règne. En France, contrairement à la Suède, où 290 000 EHS sont recensés, l’électro-hypersensibilité est loin d’être officiellement reconnue. Un rapport du Grenelle des ondes les renvoie à la psychiatrie… « Notre combat est difficile, déclare l’association Une terre pour les EHS, car il implique la suppression des technologies sans fil sur une minuscule partie du territoire, ce qui remet en cause la volonté de couverture intégrale des opérateurs de téléphonie mobile. »

Les EHS sont-ils des personnes plus sensibles que la moyenne ? Ou des révélateurs de ce qui pourrait atteindre une large partie de la population, d’ici quelques années ? « C’est une question de temps, mais le scandale sanitaire est inéluctable », estime Marine Richard. D’une part, le niveau d’ondes augmente constamment. D’autre part, les jeunes générations sont exposées de plus en plus tôt à ces rayonnements. En tout cas, la courbe des EHS ne fait qu’augmenter. « Actuellement, on estime que 2 % de la population serait sensible, à un stade ou un autre, aux ondes électromagnétiques, indique Marc Arazi, de Priartem. Dans quelques années, ils seront 7 %. Chacun aurait un potentiel électromagnétique, qu’il doit gérer. Il y a derrière un choix de société. »

Tous cobayes d’une expérience grandeur nature ?

« Il faut qu’il y ait une vraie réflexion sur ce que doit être la téléphonie mobile », avance Marc Arazi. Car baisser les émissions des antennes-relais est possible. À 0,6V/m, les téléphones portables fonctionnent… Mais à l’extérieur des bâtiments uniquement. Pour l’intérieur, Priartem recommande d’utiliser le téléphone fixe filaire.

Pour tester l’abaissement des émissions, le Comité d’opération sur l’exposition aux ondes radio (Comop) a été mis en place par le Grenelle des ondes, en 2009. Les négociations sont fastidieuses. « Les opérateurs prennent aujourd’hui prétexte qu’en baissant les émissions des antennes, en cas d’une urgence, si quelqu’un ne peut pas appeler, ils seront accusés en justice de ne pas avoir respecté leur contrat avec l’État, raconte Catherine Gouhier, du Criirem. Donc que c’est à l’État de signer un décret les autorisant à baisser la couverture du territoire. Cela devient grotesque. »

En fait, pour limiter les émissions à 0,6V/m sur l’ensemble du territoire, sans diminuer l’utilisation du téléphone portable, il faut ajouter de nouvelles antennes. Mais toute nouvelle installation fait peur. « Or, il vaut mieux avoir plus d’antennes avec des puissances plus faibles, précise Catherine Gouhier. Pas facile de le faire comprendre. » Pour les opérateurs, installer de nouvelles antennes entraîne de nouveaux coûts. Ce qu’ils veulent à tout prix éviter. « On mène actuellement la plus grande expérience biophysique jamais réalisée, estime le professeur Franz Adlkofer. Et ce, sur l’humanité entière, expérience dont l’issue est plus qu’incertaine. »

Simon Gouin

P.-S.

 Le site de l’association Priartem
 Le site de Robin des Toits
 Le site du Criirem
 Le blog d’Une terre pour les EHS
 Carto-radio, le site de l’ANFR qui répertorie, sur une carte, toutes les antennes-relais de téléphonie mobile, de Wimax et de TNT.

Notes

[1L’arrêté du 12 février de la ville de Bordeaux décide que les projets d’implantation seront soumis à une commission comportant des associations de riverains ; que toute augmentation de l’état présent des niveaux de champs électromagnétiques est interdite ; et que toute implantation à moins de 100 mètres d’un lieu accueillant des enfants est interdite.

[2à 10 ou 15 V/m contre 2 V/m actuellement

[3Une antenne relais au Conseil d’État, Jean-Michel Thénard, 12 octobre 2011.