Solidarités

« On mange et on rit ensemble » : des étudiants s’entraident face à l’abandon des pouvoirs publics

Solidarités

par Sophie Chapelle

Pour affronter plus facilement les cours en distanciel, la solitude et la perte de jobs, des étudiants ont choisi de partager leur appartement. Reportage à Lyon, où les prix des logements explosent.

Malgré un chauffe-eau en panne, une vitre cassée sur laquelle un carton a été scotché et l’obligation d’avoir un chauffage d’appoint, la bonne humeur règne dans l’appartement de Lucile et Sophie, respectivement âgées de 21 et 22 ans. Voilà deux ans que ces étudiantes partagent un appartement de 73 m2 à Lyon. « Nous sommes quatre à vivre ici. Mais avec le confinement, il arrive régulièrement que nous soyons huit... voire plus. »

Lucile, chauffage d’appoint aux pieds. © Jean de Peña

Matteo a ainsi rejoint la petite communauté depuis un mois. « Dans son petit appart tout seul il était trop déprimé », détaille Lucile. « Pablo a aussi lâché son appart et nous a rejoints il y a quelques semaines. Martin, lui, prête son studio à un livreur CGT sans papier. » Tous sont étudiants à l’exception de Martin, en télétravail, et ont adopté un rythme de vie collectif. « On se lève tous plus ou moins ensemble, on mange ensemble, on rit ensemble. »

Un meuble dans la cuisine de l’appartement partagé avec un autocollant des Jeunesses Communistes. C’est dans cette organisation que les colocataires se sont rencontrés. © Jean de Peña

« C’est compliqué d’avoir un logement social »

La question financière est aussi une préoccupation commune. « On a tous un loyer à payer. Ici c’est 746 euros en tout, alors qu’un loyer pour un studio c’est en moyenne 500 euros », relève Lucile. La résidence universitaire Jean-Mermoz gérée par le Crous et dénoncée pour ses conditions insalubres (notre précédent reportage) est actuellement en cours de démolition. En lieu et place des chambres à 150 euros par mois pour 9 m2, seuls des studios à un prix plus élevé – les montants mentionnés varient de 350 à 400 euros – devraient sortir de terre. « Il va y avoir encore moins de chambres abordables alors que Lyon est déjà une ville sous tension », souligne Sophie. « C’est compliqué d’avoir un logement social. Il y a moins de 9000 chambres Crous et de la place pour 5 % des étudiants seulement, selon nos calculs. L’accès est en particulier très difficile pour les étudiants étrangers. ».

L’une des chambres de l’appartement. © Jean de Peña

Tous déplorent « des bourses super basses ». « Non seulement tu dépenses toute ta bourse dans ton loyer mais en plus, ils ont restreint les critères d’accès », ajoute Lucile. Des étudiants en ont donc été privés cette année. « C’est une école de classe. En fonction du revenu des parents, tu dois travailler à côté des études et beaucoup de portes se ferment. » Cette précarité était présente bien avant l’épidémie de Covid. Tous ont en tête le geste d’Anas, étudiant qui a tenté de s’immoler devant un bâtiment du Crous de Lyon en novembre 2019 pour dénoncer la dégradation de ses conditions de vie (notre article).

« C’est la première année où je ne travaille pas car j’ai fait un prêt étudiant » témoigne Sophie. © Jean de Peña

« Le fait d’avoir la tête dans le boulot tout le temps nous abrutit »

Vivre à plusieurs leur permet aussi de mieux affronter les cours en visioconférence. Lucile, étudiante en licence de chinois, souffre particulièrement des cours de langue en distanciel. « On progresse plus lentement en cours, on galère plus sur nos devoirs. On a aussi besoin de moments où on se repose, on a besoin de marcher. Toutes ces pauses, on ne les a plus. Le fait d’avoir la tête dans le boulot tout le temps nous abrutit. » « La quantité de travail au premier semestre a été hardcore », appuie Sophie, étudiante à l’institut d’urbanisme de Lyon-2. « Les profs nous demandent une grosse quantité de travail mais ne se consultent pas entre eux pour savoir ce que les autres demandent. Nous avons plein de cours qui se chevauchent, une avalanche de mails, des infos contradictoires... Et là, avec le couvre-feu, nous sommes obligés de louper 30 minutes de cours pour aller faire les courses. »

Lucile et Sophie vivent en colocation depuis deux ans. © Jean de Peña

Depuis la rentrée de février, une reprise progressive des cours en présentiel s’amorce. Beaucoup continuent de ne pas venir en classe, certains ayant rendu leur appartement pour rentrer chez leurs parents. D’autres ont décroché, voire abandonné. Les mêmes incertitudes sont partagées par l’administration. « On a récemment croisé du personnel à la fac qui nous a dit : "C’est l’enfer pour nous, nous n’avons aucune vision à long terme". » Cette situation est incompréhensible pour Lucile. « J’ai travaillé pendant le premier confinement, je voyais mes collègues tous les jours. Il a fallu attendre le premier jour du déconfinement pour que des mesures soient mises en place comme le sens de circulation ou le port de masque. Être en cours me paraissait moins dangereux ! »

Sophie Chapelle

Photos* : © Jean de Peña / Collectif à-vif(s)

* Le reportage photos a été réalisé le 8 février 2021.

En une : Lucile, Martin et Sophie, avec leur chat Niglo dans la cuisine de leur appartement / © Jean de Peña