Tribune

Face aux nouveaux OGM : « Préservons la nature contre ceux qui prétendent la maîtriser »

Tribune

par Christian Vélot

Des organismes génétiquement modifiés « cachés » continuent d’être cultivés en France sans étiquetage, malgré une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Les partisans des OGM prétendent que, avec ces manipulations génétiques, l’être humain ne fait rien d’autre que ce que fait déjà la nature. Le chercheur et lanceur d’alerte Christian Vélot démonte leurs arguments.

Les nouveaux OGM (produits des nouvelles techniques de manipulation génétique) sont, depuis une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), soumis aux obligations de l’Union européenne en matière d’évaluation des risques, d’autorisation, de traçabilité et d’étiquetage, au même titre que les OGM transgéniques [1].

A ce jour, cet arrêt de la CJUE n’est toujours pas mis en œuvre en France, ainsi que partout ailleurs dans l’UE. Les défenseurs inconditionnels de ces technologies — et notamment les industries semencières — mènent un travail de sape pour obtenir une modification de la réglementation européenne afin que tous ces nouveaux OGM viennent grossir la catégorie des OGM cachés, et puissent ainsi être cultivés et commercialisés dans la plus grande opacité mais en toute légalité.

On voit ainsi ressortir de bons vieux faux-arguments, déjà largement usités — par les mêmes protagonistes — contre la règlementation des plantes transgéniques, seuls OGM actuellement légiférés en Europe.

« Le vieux refrain éculé selon lequel l’Homme, avec les manipulations génétiques, ne fait rien d’autre que ce qu’a toujours fait la nature »

C’est ainsi que dans un article de Futura-Sciences du 21 octobre dernier [2], la journaliste Céline Deluzarche nous ressasse le vieux refrain éculé selon lequel l’Homme, avec les manipulations génétiques — fussent-elles nouvelles —, ne fait rien d’autre que ce qu’a toujours fait la nature. C. Deluzarche s’appuie sur une étude scientifique publiée en septembre dernier dans la revue Plant Molecular Biology [3], qui montre que 7 à 8 % des plantes à fleur contiennent un morceau d’ADN étranger provenant d’une bactérie pathogène des plantes, Agrobacterium tumefaciens, bactérie justement largement utilisée comme outil par les scientifiques pour construire des plantes génétiquement modifiées (PGM), y compris dans le cadre des nouvelles techniques de manipulation génétique. Et ravie de sa trouvaille, notre journaliste écrit, à propos de la décision de la CJUE du 25 juillet 2018 : « Ce que les juges peuvent interdire aux laboratoires, ils ne peuvent pas l’imposer à la nature ». C’est beau !

Rappelons donc à Céline Deluzarche un certain nombre de notions élémentaires.

Transferts naturels de gènes et manipulations génétiques par l’homme : « Il ne faut pas tout confondre »

Certes, le transfert de gènes existe depuis le début de l’histoire du règne vivant et constitue l’un des moteurs de l’évolution. Mais il ne faut pas tout confondre. Ces transferts naturels (c’est-à-dire sans l’intervention de la main de l’homme) et l’évolution qui en résulte ont lieu sur des échelles de temps géologiques, avec une évolution parallèle de tous les éléments des écosystèmes. Par exemple, nous, les humains, avons des gènes d’origine bactérienne. Mais sans ces gènes bactériens, nous ne serions jamais devenus l’homme ou la femme que nous sommes.

Tous ces transferts de gènes se sont faits de manière aléatoire entre organismes partageant une même niche écologique, celle-ci jouant le rôle de milieu de sélection en ne retenant que les transferts se caractérisant par une meilleure adaptation. Ce processus — qui encore une fois s’est effectué sur de très grandes échelles de temps — a conduit à l’immense diversité que nous connaissons aujourd’hui, que ce soit dans le monde végétal, animal ou microbien.

« Avec les manipulations génétiques, on modifie brusquement les propriétés d’une plante de façon orientée »

En revanche, avec les manipulations génétiques, et indépendamment de la technique utilisée, non seulement on permet des transferts de gènes entre organismes qui ne se seraient jamais rencontrés naturellement, car partageant des écosystèmes très différents, mais on modifie brusquement (sur une échelle de temps extrêmement courte) les propriétés d’une plante donnée (c’est-à-dire d’un élément d’un écosystème choisi par l’homme) de façon orientée (et non plus aléatoire) pour lui conférer, dans cet écosystème, un avantage sélectif particulier (choisi par l’homme).

Cette plante pourra alors proliférer au détriment de ses congénères ainsi que des autres éléments de son écosystème qui étaient pourtant initialement aussi bien adaptés qu’elle à cette même niche écologique. Il en résulte donc au contraire une atteinte directe à la biodiversité.

Les plantes génétiquement modifiées diminuent la biodiversité

Par ailleurs, très souvent l’avantage sélectif conféré par la manipulation génétique ne peut être obtenu qu’au prix d’une modification de l’écosystème, notamment par un apport important d’intrants. C’est le cas par exemple des plantes rendues tolérantes à un herbicide qui ne peuvent présenter un avantage sélectif par rapport aux autres plantes que dans un environnement contenant cet herbicide.

Par conséquent, avec les manipulations génétiques, on adapte l’environnement à la plante et non plus les plantes à leurs environnements, ce qui conduit inévitablement, là encore, à une diminution de la biodiversité par une adaptation artificielle et une standardisation des écosystèmes : exactement le contraire de ce qu’a toujours fait la nature. Sans oublier que les cultures intensives d’OGM dans des pays comme le Brésil et l’Argentine s’accompagnent d’une déforestation à outrance, autant irresponsable que criminelle en terme d’atteinte à la biodiversité, de réchauffement climatique, et de conséquences pour les générations futures !

Il est d’ailleurs fort intéressant de constater que ceux-là mêmes qui prétendent que les OGM ont toujours existé dans la nature justifient les brevets sur les plantes génétiquement modifiées par le fait que la « valeur ajoutée » (sic) qu’elles représentent est le résultat de la main de l’homme…

Plusieurs études relatent les « effets non intentionnels » des nouvelles techniques de manipulation génétique

Enfin, alors que les nouvelles techniques de manipulation génétique nous sont présentées par leurs promoteurs comme étant d’une précision extrême, plusieurs études scientifiques, que Céline Deluzarche se garde bien de mentionner (alors que l’une d’elles date seulement de quelques mois), relatent de nombreux effets non intentionnels, tant en terme de mutations (changements de séquence de l’ADN), d’épimutations (changement de l’état fonctionnel des gènes), de délétions (disparitions de séquences d’ADN), que de présence et d’insertions d’ADN étranger non désiré [4]. Autant d’études qui remettent donc en cause les affirmations de ceux qui clament la haute précision des nouvelles techniques de manipulation génétique, et que les modifications qu’elles permettent de réaliser ne sont pas différenciables de celles engendrées par la nature...

Contrairement à certains scientifiques, les juges, par leur décision du 25 juillet 2018, ne cherchent pas à imposer quoi que ce soit à la nature, ils cherchent juste à la préserver de l’arrogance et l’inconsistance de ceux qui prétendent la maîtriser.

Christian Vélot,
Généticien moléculaire à l’Université Paris-Sud
Président du Conseil scientifique du CRIIGEN

Photo de une : action devant le siège du Haut conseil aux biotechnologies en 2016.

Notes

[1Suite à une initiative de plusieurs associations réunies au sein du Collectif de l’appel de Poitiers, lequel a d’abord saisi le Conseil d’État en 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) avait, le 25 juillet 2018, statué sur le sujet.

[2Voir l’article de Futura-Sciences

[3Matveeva et Otten, 2019. Plant Molecular Biology, 101, 415-437

[4Voici plusieurs références :
Fu et al, 2013. Nature Biotechnology, 31, 822-826
Gaj et al, 2013. Trends in Biotechnology, 31, 397-405
Cho et al, 2014. Genome Research, 24, 132-141
Ono et al, 2015. Scientific Reports, 5, 12281 DOI : 10.1038/srep12281
Schaefer et al, 2017. Nature Methods, 14, 547-548
Ono et al, 2019. Communications Biology, 2, 57-64 doi.org/10.1038/s42003-019-0300-2