Principe de précaution

Nouveaux OGM : la justice reconnaît qu’un faucheur volontaire a agi en état de nécessité

Principe de précaution

par Sophie Chapelle

La justice française vient de relaxer de manière définitive un faucheur volontaire de tournesols en invoquant le principe de précaution. Le tribunal considère que « des indices sérieux et concordants » indiquent que les variétés étaient des OGM.

C’est une première. La justice vient de reconnaître, de manière définitive, qu’un faucheur volontaire d’OGM a agi en « état de nécessité ». « Cette action, la destruction de trois hectares de culture OGM non autorisée, était commandée par la nécessité de protéger des intérêts généraux essentiels, immédiatement mis en culture », conclut le jugement du tribunal de Perpignan que Basta! a pu consulter, concernant la relaxe d’un faucheur de tournesols mutés, le 17 décembre dernier. « Cela veut dire que ce tribunal reconnaît le danger imminent sur la santé et l’environnement des plantes fauchées – oui, des OGM sont toujours cultivés en France – plantes qui sont liées aux pesticides. Vingt ans ou presque que nous essayons de faire valoir cet état de nécessité », se réjouit Annick Bossu, professeure de sciences naturelles aujourd’hui retraitée et membre des faucheurs volontaires.

« Le champ de tournesols fauché était un champ de tournesols génétiquement modifiés »

En 2016, environ 150 faucheurs volontaires d’OGM détruisent à Elne, dans les Pyrénées-Orientales, un champ de tournesols destinés à produire des semences de variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH) par mutagénèse (lire notre décryptage de cette technologie). La société Nidéra Semences France – rachetée en 2019 par la multinationale Syngenta – porte plainte. Un seul faucheur passe en procès le 15 octobre 2020 à Perpignan [1]. Pour motiver la relaxe définitive, le tribunal s’appuie sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de juillet 2018 qui a statué que les semences issues de nouvelles techniques de manipulation génétique devaient être soumises aux mêmes évaluations, autorisations, traçabilité et étiquetage, que les semences transgéniques [2].

Le tribunal de Perpignan considère que « des indices sérieux et concordants » indiquent que les variétés rendues tolérantes aux herbicides cultivées à Elne étaient des OGM. Il conclut même que « le champ de tournesols fauché était un champ de tournesols génétiquement modifiés », que ces cultures de 2016 n’étaient donc pas autorisées et que l’entreprise Nidera – aujourd’hui Syngenta – « ment en affirmant qu’il n’y avait aucun OGM dans ce champ ». Le délit de dégradation de bien en réunion est ainsi requalifié en délit de fauchage d’OGM, ce qui pourrait faire jurisprudence, alors que 160 000 hectares de cultures de tournesol VrTH et 30 000 hectares de colza VrTH sont cultivés chaque année en France.

Principe de précaution

Le tribunal français estime également que le principe de précaution impose la transparence. Dans son jugement, il considère comme acquis les dangers que présentent les OGM pour les cultures, pour l’alimentation et l’eau, pour les abeilles et les poissons, mais également d’un point de vue économique pour les paysans et les filières en agriculture biologique. En ce sens, ces plantes associées aux herbicides constituent selon le tribunal un danger effectif, irréversible et actuel pour l’agriculture, l’environnement et pour l’ensemble de la population, ce qui l’amène à retenir « l’état de nécessité ». Le parquet n’a pas fait appel de la relaxe qui est donc définitive sur le plan pénal. La multinationale Syngenta fait en revanche appel sur les dispositions civiles, c’est-à-dire sur les dommages et intérêts pour préjudice, qu’elle estime à 750 000 euros.

« Depuis deux ans, tant à la Cour de justice de l’Union européenne, qu’au Conseil d’État, que dans les tribunaux, cela fait quatre victoires pour nous qui défendons le vivant sur Terre », se félicite Annick Bossu. Ce jugement va plus loin que la relaxe de faucheurs prononcée par le tribunal de Dijon en janvier 2019 (voir notre article), puisqu’il impose une véritable obligation de transparence sur les industriels qui ont la charge de la preuve. « Alors que le vivant est de plus en plus artificialisé, j’ose espérer que les consciences s’ouvrent », espère la membre des faucheurs volontaires. Les récentes déclarations du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, prennent pourtant la direction contraire. Il a dit le 7 janvier dans un entretien que « les NBT [variétés issues des nouvelles techniques de sélection végétale, ndlr], ne sont pas des OGM » [3]. En déclarant cela, le ministre dénie les récentes décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État français.

Sophie Chapelle

Photo de une : action le 6 avril 2016 devant le siège du Haut conseil aux biotechnologies / CC Sophie Chapelle - Basta!

Notes

[1Les 52 personnes comparantes volontaires, des faucheuses et faucheurs qui se présentaient pour être jugées au même titre que le prévenu puisque ayant participé au fauchage, n’ont pas été jugées.

[2La CJUE a arrêté que ces nouveaux OGM doivent être réglementés, considérant que « les risques pour l’environnement ou la santé humaine liés à l’emploi de techniques/méthodes nouvelles de mutagenèse (...) pourraient s’avérer similaires à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse ». Cet arrêt de la Cour fait suite à un recours juridique de neuf organisations paysannes et de la société civile françaises.

[3Voir l’entretien de Julien Denormandie accordé au groupe de presse Réussir, le 7 janvier 2021.