Universités confinées

« Le seul espace commun, c’est le local à poubelles » : la détresse psychique et sociale des étudiants

Universités confinées

par Jean de Peña, Sophie Chapelle

Les tentatives de suicide ou les files d’attente devant les distributions alimentaires mettent en lumière la détresse de toute une génération. Malgré la reprise partielle de cours en présentiel, le manque de vie sociale pèse énormément.

« Mon week-end ressemble à la semaine. On se lève à 8 h, je passe ma journée à regarder et retranscrire les vidéos de cours enregistrées par mes profs. Je n’en vois jamais le bout. » Anna, 18 ans, est en première année de sciences de la vie de la terre dans une faculté de Lyon. Avec Damien, son compagnon lui aussi étudiant, ils partagent un appartement de 31 m2 dans une résidence du Crous. Tous les deux, boursiers, estiment être « privilégiés ». « Ce n’est pas insalubre, c’est calme, on n’a pas froid. L’appart est aussi bien orienté. On a une vue dégagée alors que les étudiants au rez-de-chaussée ont des barreaux aux fenêtres. » Chacun dispose de son propre matériel informatique et le débit de la connexion de la résidence est suffisant pour leur permettre de suivre les cours. « Mais on ne se sent pas bien quand même », lâche Anna.

Anna et Damien, étudiants, partagent un appartement T1 de 31 mètres carré dans une résidence Crous à Lyon. © Jean de Peña

« Le plus dur c’est la motivation, l’autodiscipline »

Anna jette un œil à son lit situé à trois mètres de son bureau. « Il m’arrive parfois de me lever à 7 h 55 pour un cours à 8 h. Chacun de nos cours est un devoir à faire chez nous. En fait, toute la semaine est un devoir. » En raison du distanciel, son emploi du temps n’arrête pas de changer, et elle peine à suivre : « Le nombre de mails par jour explose. À 18 ans c’est vraiment difficile à gérer. On débarque du lycée, on n’est pas préparés à cette masse de travail ni à avoir des examens. » Avant d’entamer ses études supérieures, Anna a vu les épreuves du bac 2020 annulées au profit du contrôle continu.

Damien, en première année à Polytech, a lui tout juste validé son premier trimestre avec une moyenne de 10,1. « Le plus dur c’est la motivation, l’autodiscipline. Je travaille vraiment moins bien qu’en présentiel ou lorsque je vais à la bibliothèque universitaire [fermée, ndlr]. Les visios demandent plus de ressources, une attention qu’on n’a pas à fournir en cours. Il y a aussi les profs qui écrivent sur les tableaux et où on ne voit rien, c’est tout pixellisé... Tout ça s’additionne. » Beaucoup ont décroché dans sa promo. Mais des élèves ont décidé de s’organiser. « On a mis en place un serveur Discord pour entretenir un contact social et un suivi de cours pour s’entraider. ça m’a aidé pour rester motivé. »

Damien : « On a mis en place un serveur Discord pour entretenir un contact social. » / © Jean de Peña

« Vous êtes les premières personnes qu’on voit dans la semaine »

La solitude pèse, jusqu’au sein de la résidence. « Le seul espace commun c’est le local à poubelles, et deux machines à laver avec un séchoir pour 150 chambres », note Damien. « On a l’impression d’une résidence vide, on ne croise pas grand monde. » L’alarme incendie déclenchée quelques jours plus tôt a néanmoins permis à Anna et Damien de se rendre compte que la résidence était habitée. Confinements et couvre-feu n’ont cependant pas entraîné de mobilisation particulière du Crous, qui gère la résidence. « Il n’y a pas de psy accessible. À part quelques mails du Crous et la consigne de bien porter le masque, il n’y a pas eu de changement. »

Le seul aménagement collectif de cette résidence du Crous se réduit à deux machines à laver et un sèche-linge. © Jean de Peña

Avec le deuxième confinement, Anna s’est rapprochée de deux de ses voisines, seules dans leur appartement. « Quand le confinement a été annoncé, l’une d’elles est venue frapper à la porte en me demandant si j’avais besoin de quelque chose. Cela m’a fait énormément de bien ! On a fait le tour de l’étage ensemble. Nous sommes cinq à avoir répondu à ce "toc toc" et depuis on se fait des soirées crêpes. » Anna a réitéré l’expérience avec deux amies. « Nous sommes allées frapper à chacune des chambres de la résidence. J’ai été surprise par le nombre de personnes qui m’ont dit : "C’est vraiment bien de venir nous voir ! Vous êtes les premières personnes qu’on voit dans la semaine." » Un groupe Facebook a aussi été mis en place. « On se prête un aspirateur, une poêle... Il y a aussi des gens qui proposent des choses quand ils déménagent. »

Un rappel des gestes barrières à l’entrée de cette résidence du Crous. © Jean de Peña
Dans les couloirs vides d’une résidence du Crous. © Jean de Peña

« Le couvre-feu empêche toute possibilité de sortir, c’est pire qu’un confinement »

Le couvre-feu à 18 h complique le quotidien – l’agglomération lyonnaise n’est pour l’instant pas concernée par le troisième confinement. « On a des cours toute la journée. Si on veut faire les courses, on est obligés d’en rater. Le couvre-feu empêche toute possibilité de sortir, c’est pire qu’un confinement. » Depuis la rentrée des vacances de février, Anna se rend désormais deux demi-journées par semaine à la faculté. « Même un tout petit peu de présentiel ça fait une différence. Se lever le matin, aller quelque part, revenir, ça fait un rythme ». Damien, lui, n’a pas du tout repris les cours en présentiel. « Nous ça va mais c’est frustrant de voir que, dans ma promo, plein de gens ne vont pas bien. Les étudiants ont besoin d’aide. Il y a eu plusieurs tentatives de suicide d’étudiants ces dernières semaines. L’urgence est globale. »

Depuis le studio de Anna et Damien, on aperçoit une grue. Elle se situe sur le chantier de démolition de la résidence du Crous Jean Mermoz, qui était complètement insalubre (notre reportage). © Jean de Peña

Anna et Damien ont participé à un sondage sur les conditions de vie étudiante, initié lors d’une assemblée générale interfac à l’IEP de Lyon. « Rien qu’avec le bouche à oreille, il y a eu plus de 500 réponses » souligne Damien. « Certains disent qu’ils ne peuvent plus se chauffer, d’autres qu’ils ont des idées suicidaires. Sur le plan psychologique et social, c’est très grave ce qui se joue, en plus des problèmes de matériel et de nourriture. Ce que les étudiants aimeraient, ce sont des interactions sociales. »

Sophie Chapelle

Photos* : © Jean de Peña / Collectif à-vif(s)

* Le reportage photos a été réalisé le 8 février 2021.